Dans son dernier film documentaire «Makhdoumine», Maher Abu Samra appréhende une nouvelle esthétique, mais il dépeint également l’univers esclavagiste des domestiques au Liban.
Après «Juste une odeur» en 2007 et « Nous étions communistes», en 2010, Maher Abu Samra revient avec «Makhdoumine» (Chacun sa bonne). Dans ce documentaire de 67 minutes, l’auteur nous plonge dans une réalité assez particulière qui est celle des aides ménagères. Rappelons que Maher Abu Samra était un photographe journaliste pour la presse arabe et internationale avant d’arrêter ce métier pour se consacrer au cinéma documentaire. «Le cinéma documentaire m’est apparu comme la meilleure manière, pour moi, d’exprimer la complexité et les contradictions de la réalité, d’assumer mon point de vue, mon regard subjectif, mon engagement. Mon cinéma est politique», déclare-t-il.
On est dans une agence de services à Beyrouth. Une parmi les centaines qui existent au Liban et qui, depuis des années, mènent cette activité qui consiste à trouver des «bonnes» pour les ménages libanais. Voici ce que nous raconte le synopsis. «Le travail domestique est un marché majeur au Liban. Il se divise selon les origines nationales et ethniques des travailleurs. L’employeur libanais est le maître et le travailleur son bien. Zein possède une agence de travailleuses domestiques à Beyrouth. Il fait venir des femmes d’Afrique et d’Asie pour travailler dans les familles libanaises et aide ses clients à choisir sur catalogue celle qui répondra au mieux à leurs besoins. La publicité, la justice, la police sont dans son camp. Il nous ouvre son agence».
Dans ce film, on assiste au quotidien de cette agence qui fournit cette main-d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Les clients choisissent sur catalogue les filles qu’ils engagent. Des filles qui viennent du Sri Lanka, des Philippines et du Soudan, effectuant des fois des voyages difficiles et transitant par plusieurs pays. Une fois au Liban, elles sont enfermées dans cette agence jusqu’à ce qu’elles soient engagées. Ce qui nous étonne d’abord dans ce documentaire, c’est le «naturel» avec lequel le sujet est présenté par le propriétaire de l’agence lui-même. En effet il présente ce «service» comme étant un commerce comme un autre sur lequel ces agences ont la mainmise et où même l’Etat n’est pas impliqué. Au contraire, il leur renvoie les filles qui ont essayé de fuir…
Une forme d’esclavage moderne qui perdure encore au Liban et auquel s’attaque cette fois l’auteur Maher Abu Samra, mais avec une esthétique particulière. En fait, presque tout le film est tourné dans un huis clos de cette agence à Beyrouth. De l’extérieur, on n’a que des panoramiques magnifiquement filmés du reste sur ces immeubles pendant la nuit avec la voix off de l’auteur qui raconte en quelque sorte cette tragédie qui reste encore taboue au Liban, tout en avouant que même ceux qui emploient des bonnes n’ont pas voulu témoigner à visage découvert. Ce huis clos et ces visages qu’on ne voit pas rendent le documentaire encore plus pertinent. Un documentaire co-produit entre le Liban, la France et la Norvège mais dans lequel on note une participation tunisienne particulière avec Moncef Taleb comme maître d’œuvre au son.